De nombreux poètes, mais Baudelaire en particulier, ont bercé l’adolescence de Jorge Semprun, d’où l’emprunt de cette moitié d’alexandrin d’un poème issu des Fleurs du mal pour titre de son livre de souvenirs.
Car dans cet ouvrage, l’auteur ne parle que de son enfance, son adolescence, la Guerre d’Espagne, l’exil en France, l’apprentissage de la langue de Molière, ses études au lycée Henri IV. Il nous raconte le déchirement du départ de Madrid pour le Pays Basque français où les rouges Espagnols séjournèrent dans des conditions peu glorieuses pour la France, le transit au Pays-Bas puis l’arrivée à Paris. Il parle de l’humiliation subie par l’adolescent dont l’accent prononcé et le français hésitant n’avaient pas permis qu’il se fasse comprendre d’une boulangère parisienne qui prit les autres clients à témoin pour évoquer devant le garçon « l’armée en déroute » des Républicains fuyant les militaires de Franco. Ce jour-là, le jeune Semprun se jura de maîtriser le français mieux que les Français eux-mêmes. Il a magnifiquement réussi.
Mais ce livre est aussi le récit de la découverte du corps, le masculin et le féminin, l’apprentissage des rapports hommes-femmes, l’initiation à la séduction, au plaisir. Dans un Paris où les sujets de conversation tournaient autour de l’inévitable conflit mondial, Jorge Semprun fait la connaissance d’hommes politiques et de gens de Lettres importants. Malgré son jeune âge, sa culture et sa soif inextinguible d’apprendre lui permettent de fréquenter les intellectuels parisiens de l’époque et de se mêler à leurs discussions lors des repas. Mais la fraîcheur de sa jeunesse et sa candeur évidente lui donnent aussi l’opportunité de frôler de près des femmes d’âge mûr qui ne souhaitaient rien tant qu’initier cet adolescent aux plaisirs de la chair. Et c’est bien dans les bras de l’épouse d’un homme influent dont il fut l’hôte qu’il perça les mystères du corps féminin.
Un livre magnifiquement écrit qui nous plonge dans une époque tourmentée, juste avant le départ de l’auteur pour le camp de concentration de Buchenwald, et néanmoins délicieuse car éclairée par le regard curieux de l’adolescence.
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