Briser la loi du silence

sagaUne lectrice me demandait récemment :
- Votre saga familiale, c’est votre histoire ?
- Oui, en partie.
- Alors c’est une autobiographie ?
- A quelques détails près, oui.
- C’est… très impudique…
- Certainement. Mais vous savez, écrire est l’une des activités les plus impudiques qui soit ! Et les écrivains qui déclarent ne pas se livrer dans leurs livres sont des menteurs ! Quand on écrit, on se livre forcément, plus ou moins.
- Oui, mais là… vous vous livrez beaucoup !
- Vous voulez parler des agressions sexuelles sans doute ?
- Oui.

Je comprends que cela puisse choquer le lecteur. Mais que faire ? Se taire ? Quand on vit un grand bonheur, comme le mariage, la naissance d’un enfant ou un succès professionnel, on aime le partager et personne n’y trouve rien d’indécent. En revanche, quand on vit un drame, on devrait se taire ? Ma réponse est claire et nette : NON ! Bien sûr, je respecte les victimes qui préfèrent se taire, mais on doit laisser celles qui souhaitent s’exprimer, d’une manière ou d’une autre, le faire.
Oui, j’ai été sexuellement agressée dans mon enfance et mon adolescence à maintes reprises. Et alors ? Premièrement, je ne suis pas la seule. Deuxièmement, je n’ai pas été violée. Troisièmement, je n’ai pas à rougir des saloperies que l’on m’a faites !
Taire une agression sexuelle, quelle qu’elle soit, c’est cautionner l’agresseur. Les enfants qui subissent des attouchements, souvent de la part de personnes très proches – parents, amis des parents, voisins, enseignants, curés, moniteurs, entraîneurs – seront marqués à vie. Ils devraient en plus ne pas révéler leur calvaire ? Ils devraient se taire, comme s’ils avaient quelque chose à cacher ? Avec ce raisonnement, on inflige à ces enfants un sentiment de culpabilité et de honte particulièrement injuste.
Je sais aussi que dénoncer son agresseur, c’est envoyer cet individu, que l’on aime et que l’on admire souvent, devant les tribunaux. Un acte difficile pour l’enfant. Mais il importe qu’il puisse se confier, qu’il puisse parler à une personne neutre qui ne le jugera pas, afin de ne pas endosser une culpabilité destructrice et de recevoir une aide tout au long de cette démarche  difficile. Car bien sûr, c’est un acte très grave et très culpabilisant d’envoyer son père, par exemple, en prison. Mais si cet homme se retrouve en prison, ce n’est pas de la faute de l’enfant ! Il n’est pas responsable du mal que cet homme, fût-il son père, lui a fait, et ne pas le dénoncer équivaut à une acceptation des actes, une sorte de consentement. Cela est insupportable et il faut faire en sorte que l’enfant n’endosse pas le costume du criminel !

On me dira que les enfants parfois inventent des choses… Cela existe, en effet. L’affaire d’Outreau en est un triste exemple. Mais il n’y aura jamais autant d’hommes accusés à tort que d’enfants agressés sexuellement en toute impunité ! Alors désolée pour ceux qui subissent un dommage irréparable suite au mensonge d’un enfant ou d’un adolescent, mais je pense avant tout à tous les enfants qui doivent subir ces saloperies sans broncher. Car eux non plus ne se relèveront jamais de ces actes pervers qui, outre l’agression physique, posent le problème de la confiance. Un enfant agressé par un adulte est victime d’un abus de pouvoir ; il ne fera plus jamais confiance et verra dans chaque homme un violeur potentiel !
Alors oui, il faut parler pour ne pas se rendre complice. Car selon l’adage populaire, qui ne dit mot consent. Les agresseurs sexuels en abusent avec les mômes qu’ils tripotent avec leurs gros doigts vicieux, leurs yeux pervers et leur bouche baveuse !

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