Mon année professionnelle 2013 sera sans doute pour moi marquée par des décès douloureux. Car après mon premier client, mon client fétiche comme j’aimais le dire, un client régulier puisque j’ai travaillé pour lui pendant presque dix ans, voici qu’une ancienne cliente vient de décéder à son tour.
La dame, Anna, aurait eu 89 ans la semaine prochaine. Elle avait fait appel à moi en 2009 pour écrire le roman de sa vie. Et quelle vie ! Ukrainienne, elle avait été déportée à l’âge de 18 ans pour aller travailler dans une ferme en Allemagne. Elle y avait rencontré son futur mari, un Polonais vivant en France depuis l’enfance. Il avait réussi à la ramener en France au moment de la libération par les Canadiens, sans savoir qu’elle ne pourrait alors jamais retourner dans son pays. Anna s’était ainsi retrouvée coupée de sa famille pendant des décennies. Quand elle avait pu reprendre contact, après Gorbatchev, ses parents étaient décédés… J’avais adoré écrire son histoire, j’avais apprécié nos rendez-vous, j’avais aimé cette femme dynamique qui ne se plaignait jamais et qui n’avait pas hésité à cuisiner un « bortsch » pour me faire goûter cette spécialité russe ! Alors une fois le travail terminé, nous étions tout naturellement restées en contact. Cela arrive rarement ; dans l’exercice de ma profession, j’essaie de ne pas développer trop d’affect avec mes clients. Mais dans le cadre des romans de la vie, ce n’est pas évident car je pénètre dans leur intimité pendant plusieurs mois. Si j’y parviens avec certains, je n’y arrive pas avec d’autres. Ainsi ai-je appris, par hasard et longtemps après, le décès de certaines personnes dont j’avais écrit l’histoire mais avec lesquelles je n’avais pas gardé contact. Avec Anna, c’était différent. Je n’oubliais jamais son anniversaire et je lui envoyais mes voeux chaque année et elle m’appelait pour me remercier. Et grâce à Internet, j’avais des contacts réguliers avec sa fille aînée, qui m’a appris aujourd’hui la mauvaise nouvelle après m’avoir fait part, il y a quelques semaines, de l’hospitalisation de sa maman.
Quatre-vingt-neuf ans, c’est un âge raisonnable pour partir, mais je comprends quand la fille d’Anna m’écrit qu’elle se sent orpheline.
Pour ce qui me concerne, je ne suis pas près d’oublier Anna puisque, avec son accord, elle sera l’héroïne de mon prochain roman. Cet ouvrage ne sera pas sa biographie, mais je me suis inspirée d’une partie de son histoire pour en imaginer une autre.
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