Elle a quinze ans et demi. Elle rentre de son travail. Il est tard. Le magasin a fermé à 19 h 30 et elle a encore une heure environ de métro pour arriver chez elle.
« Il » est là ! Sa mère a ramené un bipède. Muscles et sourire, rien d’autre à déclarer. Si ! Un penchant pour l’alcool et bête, mais bête !
Il reste un peu de vin dans une bouteille et ça l’agace. Elle n’aime pas ça mais elle dit :
– Je vais boire un vin chaud !
Elle verse le vin dans une casserole et la pose sur le gaz. Colère du bipède, bête mais costaud ! De ses mains, il tord les bords de la casserole. Ne voulant pas caler, elle balance le vin sur le mur en lui disant :
– Tu n’as qu’à lécher !
Fureur du bipède qui veut frapper. Mme mère se réveille, prend un cache-pot et assomme le bipède… Charmante soirée ! Elle toise sa mère et lui dit :
– Demain j’irai travailler mais je ne rentrerai que quand il sera parti !
Le lendemain un problème se pose. Le bipède est encore là. Comme jamais elle ne revient sur ce qu’elle a dit, elle ne sait comment faire… Où aller. Une collègue de travail lui offre la possibilité de dormir chez elle.
– Mon père travaille de nuit ! (chic !)
Le soir après dîner la collègue propose :
– Viens, on va au ciné !
Après le ciné, elles rentrent. Par une petite rue noire qu’elle ne connaît pas, elle suit la collègue et là, tout bascule. A côté d’une voiture, quatre gars attendent. Elle n’a pas pu faire grand-chose. La « collègue» avait disparu (les tournantes existaient déjà, simplement on n’en parlait pas.)
Devant sa volonté farouche, un des gars s’est mis à l’écart mais sans faire preuve de beaucoup de courage pour aller au bout de ses opinions et la défendre ! C’est lui ensuite qui l’a raccompagnée. A part l’adresse, ils n’ont pas échangé un mot. Elle n’en a jamais parlé à personne.
Le lendemain, elle est allée chercher ses affaires qu’elle avait laissées chez sa collègue. Pas de mots, juste des regards ! Et puis dehors, elle les a vus tous les quatre. Elle s’est dirigée courageusement vers eux, les a fixés, leur a craché à la figure en plein jour. Ils n’ont rien dit. Elle aurait pu appeler à l’aide mais c’est eux qui avaient peur.
Pour le viol elle ne dirait jamais rien. Elle était salie et la honte était pour elle. En leur crachant à la figure elle ne s’était pas sentie plus propre, non, mais elle avait vaincu sa propre peur ! Jamais plus un homme ne lui manquerait de respect. Elle le savait maintenant. Elle n’aurait plus peur de quoi que ce soit !
Ce qu’elle ne savait pas à l’époque, c’est que l’on venait, à jamais, de lui voler sa vie de femme. Pendant un an, elle a réfléchi. Puis elle a décidé de mourir. Mais ce furent trois jours de coma et un retour vers la « case départ ». Depuis, elle a cessé de vivre mais elle existe, elle respire et … elle assume !
(Jeannette Insurgé)
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