Le bus ce soir était bondé. Ne pouvant lire, je me trouvai contrainte d’écouter les conversations des passagers.
A proximité, deux jeunes femmes, la quarantaine élégante, discutaient d’un roman qu’elles avaient lu. Elles ne tarissaient pas d’éloges sur les qualités littéraires de l’ouvrage jusqu’à ce que l’une s’écrie :
– Dommage qu’il emploie autant de mots inconnus !
– Ah ! ça oui ! Ma parole, il a voulu épater ses lecteurs !
Elles continuèrent à débattre et bientôt le roman, de « super » passa à « chiant ». Comme elles descendaient du bus à l’arrêt suivant, je ne sus jamais le titre du livre.
Cette conversation me plongea dans une grande perplexité car au lieu d’être affligées par leurs propres lacunes, elles reprochaient à l’écrivain la richesse de son vocabulaire. Alors même qu’elles avaient l’air passionnées de littérature !…
Mais cela n’est-il pas un des reflets de notre société où le laxisme, dans tous les domaines, est roi et la flagornerie au service des intérêts financiers ? Au nom de la tolérance, on s’extasie sur des âneries. Au lieu de tenter de s’élever vers d’autres sphères, on se complaît dans sa médiocrité.
Il y a très longtemps, l’ancêtre de l’homme, quadrupède, s’était dressé sur ses membres postérieurs pour s’éloigner du sol, échapper aux prédateurs et regarder plus loin que l’herbe sous son museau. L’homme du XXIe siècle aurait-il perdu cet instinct de s’élever au-dessus de sa condition ? Redeviendra-t-il, dans des millions d’années, quadrupède limité par l’étroitesse de son horizon ?
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