Roman de Jonathan Littell (Prix Goncourt 2006)
Ce roman, difficile d’accès par sa forme (1400 pages d’une écriture très serrée avec des dialogues sans tiret et retour à la ligne mais guillemets à la suite de la phrase précédente) et son fond (scènes de massacre très crues) est de ceux qui ne laissent pas indifférents. Arrivée au bout de ce monument, j’ai refermé le livre et suis restée quelques minutes immobile, dans l’attente que les derniers mots aient fini de résonner dans ma tête.
Malgré son titre, qui renvoie à une tragédie grecque, ce livre n’est pas bienveillant envers le régime nazi dont il est question du début à la fin. Son propos n’est pas d’inverser les rôles et de faire des bourreaux des victimes. Simplement, il incite à la réflexion sur la condition de bourreaux, pas toujours facile à assumer par tous les nazis qui ont participé, de près ou de loin, aux massacres que l’on sait.
Maximilian Aue, allemand par son père et français par sa mère, n’entre pas dans la SS par conviction mais pour sauver sa peau. Pour faire simple – mais les choses sont en réalité beaucoup plus complexes et compliquées – Max est homosexuel ; or dans l’Allemagne nazie de Hitler, cette « déviance » pouvait le mener devant le peloton d’exécution. Juriste, intellectuel amateur d’art, Max fait la connaissance de Thomas qui le sauve de la mort en lui proposant d’entrer dans la SS. Ainsi le jeune homme va-t-il être témoin de l’extermination massive des juifs, de la bataille de Stalingrad et de la chute de Berlin.
Le récit, écrit à la première personne, est très cru, très violent ; aucun détail des abominations perpétrées par les nazis et de la souffrance endurée par les uns et les autres n’est épargné au lecteur. Max, observateur chargé de rédiger des rapports à l’intention du Führer, ne participe pas directement aux exterminations. Néanmoins, il est coupable, comme tous ceux qui tuaient sur ordre d’un supérieur pour ne pas devoir mourir eux-mêmes d’une balle dans la nuque en cas d’insubordination. Car si les guerres, toujours, ont été l’occasion rêvée pour certains d’assouvir leurs vils instincts, elles sont pour beaucoup d’autres l’obligation de donner la mort sans désir ni conviction personnelle.
Voilà la question que pose ce roman : celui qui tient l’arme est-il plus coupable que celui qui ordonne l’exécution ? Le soldat sur le terrain est-il plus coupable que les généraux qui mènent les opérations de leur QG ? Le bourreau qui actionnait la guillotine était-il plus coupable d’assassinat que l’avocat général qui avait requis la peine de mort et les jurés qui avaient prononcé la sentence ? Le SS de base qui tirait une balle dans la nuque des juifs était-il plus coupable que Hitler qui avait engagé la Shoah ? Est-ce le sang sur les mains des uns qui les rend responsables des crimes organisés par d’autres ? Le chef d’un Etat qui déclare la guerre à un autre Etat n’est-il pas déjà coupable des crimes futurs ; par extension, tous les habitants de ce pays ne sont-ils pas coupables de la mort des milliers de gens du pays attaqué, tout comme les Allemands dans leur ensemble sont tenus responsables de la Shoah ?
Enfin ce livre, dérangeant de la première à la dernière page, renvoie à l’éternelle question, leitmotiv entêtant jusqu’à l’agacement : qu’aurais-je fait si j’avais été un jeune Allemand en 1939 ?
Je te trouve très bienveillante avec ce bouquin particulièrement assommant et infiniment pervers et nombriliste. On peux concevoir qu’un homosexuel décide de devenir bourreau pour échapper à un destin funeste. mais dans ce cas on aurait voulu le découvrir un peu plus humain au fil des pages.
Or, il n’est n’est rien… platitude, nazisme et cruauté au quotidien, perfidie feutrée, mal de vivre à peine effleuré.
Si on regrette parfois le manque de verve du personnage (de l’auteur !) on peut quand même louer la maitrise de l’écriture de Littell et lui pardonner pour cela.
Conseils aux futurs lecteurs :
Bon… si vous avez un meuble avec un pied très abimé… achetez-le.. Sinon trouvez vous un de ces collectionneurs de prix, vous savez, ceux qui ne lisent jamais rien mais achètent tous les ans le Goncourt, le Fémina et l’Interallié. Je suis suis sûr qu’on vous le prêtera, à moins, bien sûr, qu’il ne soit sous la bibliothèque…
Rémy de Bores, Romancier
Je n’ai pas vu le livre comme toi.
Certes, il est un peu assommant parfois, difficile à lire souvent. Mais quand même merveilleusement bien écrit.
Et contrairement à toi, je trouve le « héros » infiniment touchant avec ce mal de vivre bien plus qu’effleuré, cette incapacité à aimer à cause d’un amour impossible qui le ronge de l’intérieur, ce mal être face à l’extermination.
Pour moi, Max est un faux nazi et un vrai criminel, mais surtout un fou… d’amour…
Beaucoup d’honneurs pour pas grand-chose, évidemment c’est un ouvrage de poids puisqu’il y a bien 200 pages de trop. Que de longueurs ! Les détails administratifs du troisième Reich ne présentent absolument aucun intérêt mais l’auteur nous les inflige inlassablement. Le choix de conserver les grades allemands tels quels dans le récit rend obligatoire la lecture de la laborieuse liste de traductions se trouvant à la toute fin du livre, c’est lassant et peu à peu on décroche et ce n’est ni le style exécrable (longueurs, lourdeurs, et j’en passe) ni l’écriture sans talent particulier qui peu permettre d’alléger le calvaire.
De plus la mise en page souffre d’un manque d’aération certain.
Il existe beaucoup de livres relatant les horreurs de cette guerre, beaucoup mieux rédigés, et surtout plus humains.
Il fallait bien désigner un Goncourt en 2006. Et le choix s’est porté sur une œuvre insipide, qui donne l’illusion d’être brillante mais qui ne l’est certainement pas.
Je te trouve très sévère, Bernard, avec cet auteur dont on peut quand même difficilement ne pas reconnaître le talent.
Je suis d’accord avec toi notamment sur les longueurs, les grades allemands, le manque d’aération du texte (qui aurait alors compté cent ou deux cents pages de plus !!!), mais qualifier ce roman d’insipide est certainement très injuste. Certes il fallait décerner un Goncourt en 2006, mais j’ai lu des Goncourt qui n’arrivaient pas à la cheville de Littell dont je ne connais par ailleurs pas les autres ouvrages.
Quant au manque d’humanité, eh bien… je crois que ton jugement est peut-être dû à une lecture trop sommaire, peut-être en diagonale, car tu t’es laissé rebuter par la forme compacte du roman.
En tout cas, je pense que ces « Bienveillantes » méritent bien plus que ton mépris. Cela dit, tu as tout à fait raison sur un point : il y a au moins deux cents pages de trop !
cessez de vous battre les mots ne tuent point mais vous savez que zaz est une lionne alors a quoi bon lui tenir tête et puis si elle défend ce livre et auteur en particulier c’ est qu’ elle a sans doute de bonnes raisons! merci a tous pour votre coup de théâtre,
Rémy et Bernard bravo! disons haut et fort les choses! pas trop tout de même les batailles de mots connaissais pas encore les balles de silences et les batailles de neige son moins fortes!
Vue dans le journal LIBERATION, une info qui confirme ce que pense :
Dominique Froelich, « lecteur-correcteur » 60 ans, dont vingt-cinq chez Gallimard, a passé quatre mois sur le manuscrit fleuve des Bienveillantes, de Jonathan Littell, prix Goncourt 2006. La phase de discussion avec l’auteur a duré «trois semaines, à raison de huit heures par jour». Un travail «ardu, heurté» avec un romancier «intransigeant». Celui-ci tonnait : «Je ne veux pas faire de belles phrases !» Sa lectrice rétorquait : «Il y a des incorrections qui apportent du sang neuf à la langue, et d’autres qui sont inadmissibles.» Voyez l’ambiance sur 800 pages ! Dominique Froelich résume : «J’ai fait un immense trajet vers lui, et lui vers moi.» Force est de constater que ni l’un ni l’autre n’ont eu à le regretter puisque l’auteur a obtenu le Goncourt, et la lectrice, euh… la satisfaction du travail bien fait. Car il est loin le temps où Gaston, puis Claude Gallimard distribuaient des enveloppes au personnel quand la maison décrochait un grand prix.
A signaler que j’ai lu la version revue par l’auteur.
Lorsque Littell dit à son éditeur qu’il ne veut pas faire de belles phrases, alors je me demande ce que cela aurait donné, car c’est quand même diablement bien écrit. Et même si j’ai lu la 2e version, je ne pense pas qu’il ait réécrit l’ensemble de son livre.
Je n’ai pas non plus trouvé le livre assommant, juste un peu difficile en raison des grades en allemand dans le texte. Pour qui ne pratique pas la langue de Goethe, c’est un peu dur… Sinon, le livre est superbement documenté et pour une fois, on voit l’histoire se dérouler du côté des bourreaux. C’est très intéressant, très bien écrit et tout à fait objectif. Il n’y a aucune complaisance, contrairement à ce que disent certains.
Pour moi, c’est un Goncourt très mérité, ce qui n’est pas toujours le cas.