Texte transmis par un internaute, fidèle lecteur de ce blog :
« Le livre de référence
Dreyfus (Pauline), Badinter, l’épreuve de la justice, Editions du Toucan, 2009, 364 pages. La lecture du livre de Pauline Dreyfus intitulé Badinter, l’épreuve de la justice a l’intérêt de nous rappeler que le mérite d’un homme ne devrait jamais rien devoir à son nom ou à ses relations mais toujours s’apprécier au regard de ses actions et de ses combats .
Impopulaire lorsqu’il était ministre, Robert Badinter a mis des années à conquérir sa place dans le panthéon des Français. Il est aujourd’hui célébré par tous, à droite comme à gauche pour sa rectitude, son intégrité morale et son courage dans l’action politique. Contrairement à la nouvelle génération de gouvernants, Robert Badinter n’a jamais aimé parler de lui, se tenant toujours en marge des fastes de la République, considérant que seules importaient ses idées et ses valeurs.
Austère, pudique et réservé, il a toujours refusé d’écrire ses mémoires et a seulement «toléré», à ce jour , la biographie « non autorisée » de Pauline Dreyfus.
Personne n’aime autant la France que ceux qui l’ont choisie
Qui sait que la vie de Robert Badinter s’est jouée en 1943, lorsqu’il a vu son père arrêté sous ses yeux par la Gestapo de Klaus Barbie à Lyon et que, dès l’âge de 15 ans, il a décidé de vouer sa vie à la justice ? Issu d’une famille de juifs de l’Est, Robert Badinter a été élevé par ses parents dans l’amour de la France et de la République. Alors qu’il avait une quinzaine d’années, son père est donc arrêté , victime de la politique raciste et antisémite du régime de Vichy. Il ne reviendra jamais de déportation !
Robert Badinter en conservera une blessure indélébile assortie d’une question lancinante : comment la France qui a donné l’asile à sa famille, cette terre d’accueil qu’il aime tant, qu’il admire tant, la patrie des lumières, a- t-elle pu persécuter les siens avec un tel acharnement ?
Avocat à 22 ans, il est parrainé par Me Henri Torrès, un ténor du barreau de Paris qui lui apprend l’art de l’éloquence et lui fait partager ses convictions humanistes. Il intervient aux côtés de Me Torres dans la défense de Georges Guingouin, héros de la résistance limousine victime d’un double règlement de comptes des vichystes et des communistes, qui bénéficiera d’un non-lieu en 1959. Il participera ensuite aux grands procès qui ont émaillé le conflit algérien. En 1965, il réalise un vieux rêve auquel il avait dû renoncer faute de moyens : il réussit l’agrégation de droit privé et dispensera des enseignements de droit pénal à l’université, d’abord à Besançon puis à Amiens. La même année, il s’associe à Jean Denis Bredin pour fonder un cabinet d’avocats d’affaires.
Le combat pour la vie
Après avoir été, pendant plusieurs années, un brillant et prospère avocat d’affaires, Robert Badinter devient l’ avocat des causes désespérées puis l’avocat de l’abolition de la peine de mort. Parallèlement à une vie professionnelle intense, Robert Badinter, sympathisant de la Ligue des droits de l’homme, publie régulièrement des articles pour dénoncer la peine de mort. Le 29 septembre 1971, à l’occasion d’une prise d’otages qui tourne au drame à la centrale de Clairvaux, dans un article publié dans le journal Le Monde intitulé « la loi du talion », il écrit : « face à une société qui réclame vengeance, il faut raison et surtout humanité garder. Ces hommes, tels qu’ils sont révélés, sont une forme de malheur. On ne se protège pas du malheur en mettant à mort ceux qui en sont les instruments ».
Au procès de Troyes, il est l’avocat de Bontems, l’un des deux preneurs d’otages de Clairvaux qui sera condamné à mort malgré une participation improbable à l’exécution des otages, exécution revendiquée par Buffet. Il vit comme un échec personnel cette condamnation et surtout le rejet par le Président de la République du recours en grâce déposé en faveur de son client. En mai 1973, il publie le récit de son expérience dans L’Exécution, livre qui n’aura aucun succès lors de sa parution. Il y revendique « une justice qui n’a pas perdu l’amour des hommes ». Estimant que le devoir d’un avocat est de défendre toutes les causes, il accepte d’être l’avocat de Patrick Henry dont il sauvera la tête contre toute attente, grâce à un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.
Pour les Français, Robert Badinter est devenu « Monsieur Abolition ». Il va, pendant de nombreuses années, défendre cette cause impopulaire avec passion et courage tant sur le plan judiciaire que médiatique.
A la fin de l’année 1978, trois condamnés à mort, dont les condamnations ont été cassées par la chambre criminelle de la Cour de Cassation, doivent être rejugés . Mohamed Yahiaoui, Michel Rousseau, Norbert Garceau vont tous les trois demander à Robert Badinter d’assurer leur défense. A trois reprises, Robert Badinter va réussir son impossible pari : sauver la tête d’un criminel que tout accable. Malgré des insultes, des menaces en tous genres et même un attentat qui aurait pu coûter la vie à ses enfants, Robert Badinter ne cessera pas de se battre comme avocat et comme militant pour obtenir la suppression de la peine de mort alors que tous les sondages de l’époque indiquaient que plus de 60 % des Français étaient favorables au maintien de la peine capitale.
Il lui faudra attendre 1981, l’élection de François Mitterrand puis sa nomination comme Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, pour réaliser son idéal de justice. Une page de l’histoire judiciaire de notre pays se tourne lorsque Robert Badinter se présente devant la représentation nationale le 17 septembre 1981 en disant : « j’ai l’honneur, au nom du gouvernement de la République, de demander à l’Assemblée Nationale d’abolir la peine de mort en France… »
Dans une intervention historique, il dresse un vibrant plaidoyer pour la vie et pour la justice :
« Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue ; demain, grâce à vous, il n’y aura plus dans les prisons, pour notre honte commune, d’exécutions furtives à l’aube, sous un dais noir ; demain, grâce à vous, les pages sanglantes de notre histoire auront été tournées…. ». Il obtient la suppression de la peine de mort à une écrasante majorité et, à la surprise générale, il réussit par une intervention moins médiatisée mais tout aussi émouvante, à convaincre les sénateurs, majoritairement de droite et hostiles à son projet, de voter également l’abolition de la peine de mort . Grâce à Robert Badinter, la France est devenue le 22e État abolitionniste du monde, transformant ainsi en réalité l’utopie évoquée par Victor Hugo dans sa préface du Dernier jour d’un condamné.
Le combat pour la Justice
Robert Badinter est assurément entré dans la mémoire collective parce qu’il a fait abolir la peine de mort en France en 1981. En février 2005, à l’occasion d’un sondage réalisé par l’institut BVA sur le bilan des années Mitterrand, à la question « quelles mesures vous ont le plus marqué ? », la réponse « l’abolition de la peine de mort » arrive largement en tête, avec 54 % des voix. Mais il serait réducteur de ne retenir que l’abolition de la peine de mort à l’actif de Robert Badinter au Ministère de la Justice. Robert Badinter a été un grand ministre de la justice, sinon le plus grand de l’histoire de la République. Il a fait entrer la justice dans l’ère de la modernité et a fait progresser, comme jamais auparavant, l’ État de droit dans notre pays.
Il a supprimé les juridictions d’exception, abrogé la Cour de sûreté de l’État, le Haut tribunal militaire, la Cour de justice militaire, les tribunaux permanents des forces armées.
Il a donné aux militaires les mêmes droits que ceux accordés aux civils.
Il a abrogé la loi anticasseurs votée en 1970, à la suite des événements de mai 68.
Il a supprimé le délit d’homosexualité et l’article 331 du code pénal, hérité du régime de Vichy qui fixait de manière discriminatoire la majorité pour les relations homosexuelles à 21 ans alors qu’elle était de 15 ans pour les relations hétérosexuelles.
Il a permis aux citoyens français de saisir les instances européennes pour violation des droits de l’homme en levant la réserve que le président Giscard d’Estaing avait fait inscrire en 1974 lors de sa ratification et en autorisant la saisine individuelle de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. Attendue par tous les juristes, cette réforme a constitué une avancée remarquable du droit et un progrès essentiel pour les libertés publiques.
Il a fait abroger la loi Sécurité et liberté, dénonçant les vices de la politique sécuritaire menée par son prédécesseur, Alain Peyrefitte.
Surtout, Robert Badinter est le premier à s’être préoccupé de la situation des victimes d’infractions dont il va améliorer considérablement les droits . En 1983, il promulgue une loi permettant une réparation systématique et égale pour toutes les victimes. En 1985, il complète ce dispositif en faisant voter la loi qui porte désormais son nom et qui permet une indemnisation quasiment automatique des accidentés de la route, facilitant ainsi le règlement d’ énormes contentieux de responsabilité encombrant les juridictions. A la suite d’une recrudescence d’actes de terrorisme et de mouvements dans la police liés notamment à la généreuse loi d’amnistie promulguée par son prédécesseur, Maurice Faure, de son action mal comprise pour améliorer les prisons françaises, Robert Badinter subira des attaques populistes extrêmement dures et injustes.
Homme de conviction, Robert Badinter n’a jamais renoncé ; malgré les épreuves, il ne s’est jamais trompé de combat. Dans les circonstances les plus difficiles, il tiendra bon et restera fidèle à ses convictions, disant plusieurs années après : « j’en ai bavé, mais ça en valait la peine ». De fait, plus les années passent et plus Robert Badinter résiste ; plus que tout autre, à l’inventaire des années Mitterrand !
Le combat pour le Droit
Succédant à Daniel Mayer, Robert Badinter a été Président du Conseil Constitutionnel de 1986 à 1995. Il a donné à cette institution un rayonnement et une légitimité qu’aucun de ses prédécesseurs n’avait su lui apporter. D’abord soupçonné de partialité parce que nommé par un président de gauche, Robert Badinter affirme dès sa prise de fonction : « chacun, lorsqu’il est appelé à rejoindre le conseil constitutionnel, doit faire taire sa sensibilité particulière pour ne plus prendre en considération que ce qui nous est commun et qui transcende nos différences : l’amour de la liberté, l’intérêt de la République et les progrès de l’État de droit. » Pendant sa présidence, Robert Badinter a toujours veillé à ce que les passions partisanes et politiciennes ne puissent jamais altérer ou réduire les libertés fondamentales. Il a fait du Conseil Constitutionnel un outil fondamental de l’État de droit sans en faire un «gouvernement des juges » .
Il est de ceux pour qui le Droit n’est pas un instrument de puissance et de domination sociale mais au contraire un moyen permettant d’assurer la justice, de libérer les énergies et de garantir les droits fondamentaux de l’homme. Selon lui, la loi ne doit pas être qu’ une suite de règlements mais elle doit aussi et surtout exprimer les valeurs de la République. A l’issue de son mandat au Conseil Constitutionnel, Robert Badinter sera élu au Sénat où il ne cessera de défendre l’État de droit, les droits de la personne humaine et de militer pour une justice indépendante, égale pour tous et respectueuse des droits de chacun.
Le combat pour l’homme
En 1988, Robert Badinter publie avec son épouse Élisabeth, une monumentale biographie de Condorcet, un homme selon eux injustement tombé dans l’oubli en dépit de la fervente admiration de quelques hommes politiques comme Jaurès qui disait : « la pensée de Condorcet appartient au patrimoine de la République ». De cet homme qui est pour eux l’image de la vertu en politique et de sa compagne Sophie de Grouchy, les époux Badinter vont faire revivre l’existence avec bonheur : bon nombre des combats de Condorcet sont aussi les leurs.
Evoquant Condorcet , Robert Badinter s’ exprime ainsi : «Parce que, dans la tempête de l’histoire, son action est demeurée conforme à ses principes, qu’il a toujours refusé le recours à la violence mortelle, qu’il n’a jamais trahi ses convictions ni confondu pouvoir et enrichissement, Condorcet demeure un héros de la République. » Robert Badinter n’est-il pas lui aussi un héros de la République ?
Champion des droits de l’homme, il continue à militer pour obtenir l’abolition universelle de la peine de mort dans tous les pays du monde et notamment aux États-Unis.
En France, il est de tous les combats contre l’obscurantisme, l’antisémitisme, le racisme et le négationnisme, pour la justice, la liberté et la dignité de l’homme.
A 81 ans, il est toujours l’avocat infatigable des causes qui peuvent paraître désespérées. Tant qu’il sera là, sa conscience ne sera sans doute jamais au repos, ayant fait sien une fois pour toute le mot de Chamfort, « seuls les passionnés ont vécu, les autres ont duré ».
Robert Badinter, « l’homme qui ne s’est jamais trompé de combat », est assurément l’honneur de la République. En parlant de Victor Hugo, Robert Badinter déclarait lors d’une conférence :« il est des combats qui éclairent une vie ».
Comme Robert Badinter, engageons-nous avec courage et détermination pour défendre la Justice et le Droit ; Avec lui et comme lui, continuons ces beaux combats qui donnent du sens à la vie ! »
Pascal Bridey
Magistrat
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