Ceux qui me connaissent connaissent ma phobie des araignées.
Nous nous apprêtions hier à nous coucher lorsque, malgré ma mauvaise vue, j’aperçus un truc sur le bois de la tête de lit.
– C’est pas une araignée que je viens de voir ? interrogeai-je.
– Hein ? répondit Monique en continuant à se déshabiller.
– Si ! c’est bien une araignée ! m’écriai-je en me précipitant vers la porte.
Je m’attendais à ce que ma compagne se rue dans la lingerie pour aller chercher la tête de loup, mais elle continuait tranquillement à se déshabiller.
– Tu ne vas pas la laisser là ? demandai-je.
– Tu sais l’heure qu’il est ? répondit-elle.
Je ne voyais pas le rapport. Certes il était trois heures du matin, mais pour des gens comme nous qui se couchent régulièrement entre une et deux heures de matin, ce n’était pas non plus extraordinaire. Et puis quelle que soit l’heure, elle ne pouvait pas décemment laisser une araignée vagabonder dans la chambre !
– Je vais dormir sur le canapé ! annonçai-je.
Monique soupira et m’enjoignit à aller chercher l’ustensile pendant qu’elle partait à la recherche de la bestiole.
La tête de loup, initialement conçue pour enlever les fils de poussière et éventuellement les toiles d’araignées des plafonds, est l’ustensile idéal pour aider les araignées à regagner l’extérieur. Car si j’ai peur des araignées, je ne veux pas non plus qu’on leur fasse du mal. On ne sait jamais, la bestiole peut avoir le temps de communiquer avec ses copines et leur vengeance serait terrible. Donc chez nous, on ne tue pas les araignées, ni aucune autre bête d’ailleurs. Quand je pense à ma meilleure amie qui écrabouille sauvagement tout ce qui rampe, je crains toujours de me réincarner en araignée et de m’égarer chez elle. Mon compte serait réglé en deux coups de savate ! On a beau me dire qu’il n’y a guère de chance qu’un être humain se réincarne en animal, je me dis qu’on ne sait jamais, une erreur est si vite arrivée !
Je tendis donc le balai rond à Monique qui soulevait le matelas. A trois mètres de distance, je contrôlais le déroulement des opérations.
– Tu pourrais quand même m’aider ! s’écria Monique.
– Euh… oui… bien sûr ! dis-je en m’agenouillant sur le lit et agrippant le coin du matelas, prête à tout lâcher à la moindre alerte.
– Je l’aie ! s’exclama Monique.
– Super ! haletai-je, toujours cramponnée au matelas.
– Ouvre vite la fenêtre !
Je lâchai tout et me ruai vers la fenêtre.
– Merde ! elle s’est sauvée !
J’étouffai une plainte derrière mon poing.
– Ah ! la voilà ! tant pis, je l’écrase.
J’acquiesçai, tremblante, et marmonnai dans ma tête une prière improvisée : « C’est pas ma faute, ma très grande faute… pardonne-moi ton trépas comme je te pardonne ton aspect horrible… pour l’amour du ciel n’appelle pas tes copines… je te jure que d’habitude on ne tue pas les représentants de ton espèce… tu es responsable de ta mort… par ta fuite… si tu t’étais accrochée au balai, tu serais dehors… ne m’en veux pas… »
– Eh ! ça va ?
– Hein ? euh… oui… ça va !
Alors Monique se mit à rire et me rappela un autre épisode… Je travaillais alors encore en entreprise. Monique était déjà partie. J’allais moi-même quitter la maison lorsque je vis une araignée, énorme, sur le mur de la cuisine. Genre très grosse, très noire et très velue. Une horreur ! Une mygale, quoi ! Hein ? un peu plus petite ? Ouais… peut-être… mais quand même très grosse. Ne pouvant pas partir en laissant la bête errer, j’appelai Monique au bureau. Au lieu de monter immédiatement dans sa voiture pour venir me libérer, elle entreprit de me donner le courage, par téléphone, de mettre la bestiole dehors grâce à cette fameuse tête de loup.
Téléphone dans une main, je réglai de l’autre le manche au maximum de sa longueur.
« C’est bon ? demanda Monique »
« Oui ! »
« Alors ouvre la porte de la cuisine ».
Je m’exécutai sans quitter le monstre des yeux.
« Prends la tête de loup et applique-la sur l’araignée, mais pas trop fort. D’accord ? »
Je ne pouvais plus parler… Cela dura vingt minutes ! J’avais un mal de ventre que seuls les phobiques peuvent imaginer et des gouttes de sueur me tombaient dans les yeux. A force de patience et d’encouragements, Monique parvint à me faire approcher le balai rond suffisamment près de l’araignée pour qu’elle s’y accroche. La découvrant sur les poils roses de la tête de loup, je propulsai l’engin sur la terrasse et fermai prestement la porte avant d’éclater en sanglots, anéantie par la tension nerveuse de la dernière demi-heure. Il ne me restait plus qu’à reprendre une douche avant de partir au boulot !
– Ca m’avait fait bien rire, fit Monique, quand j’avais découvert la tête de loup au milieu de la terrasse !
– Ah ah ! je vois pas ce qu’il y a de drôle !
Dans ces moments-là, je reconnais manquer d’humour…
Je me souviens avoir été très fière d’avoir réussi à sortir cette grosse araignée, la première fois de toute mon existence ! Mais cela ne m’avait pas guérie de ma phobie et je ne suis toujours pas volontaire quand il s’agit d’en mettre une dehors.
Commentaires récents