Pour une fois que j’allais faire des courses, je faillis déclencher une émeute !
A la sortie du magasin, un attroupement s’était formé. De l’autre côté de la rue, deux belles jeunes femmes attendaient, vêtues de longues robes, l’une rouge et l’autre verte, et parées de somptueux bijoux.
– Tu crois qu’c’est un mariage ? demanda une femme devant moi.
– Un mariage !? s’écria sa voisine. Une mariée en rouge ou en vert ?
Personnellement, je n’y voyais aucun inconvénient. La couleur blanche, traditionnelle chez nous comme symbole de pureté, ne l’est peut-être pas ailleurs.
– Excusez-moi, dit une voix masculine à côté de moi. Il ne s’agit pas d’un mariage mais d’une circoncision.
Le jeune homme qui venait de parler, la trentaine très élégante, de toute évidence d’origine arabe, s’était exprimé dans un français impeccable.
– Mais c’est interdit ! beugla une femme. C’est interdit de faire ça aux p’tites filles !
Interloqué par la violence du ton, le jeune homme reprit rapidement contenance.
– Pardonnez-moi, Madame, mais la circoncision ne concerne que les enfants mâles.
La brave dame avait en effet confondu circoncision et excision !
Une voix s’éleva et appela dans une langue que je ne comprenais pas, peut-être en turc à en juger par les drapeaux qui ornaient les voitures, dont certaines, de grosses cylindrées allemandes, étaient immatriculées en Allemagne et aux Pays-Bas. Le jeune homme s’inclina et s’éloigna, la tête haute, dans son costume superbement taillé.
Le silence revint dans le groupe de badauds.
– Non mais vous l’avez entendu ? reprit soudain la mégère. Pour qui ça’s’prend pour nous parler comme ça ?!? C’est-y pas qu’y voulait nous faire la morale avec son air de maître d’école ?
La situation devenait cocasse. Alors que l’on reproche souvent aux jeunes des banlieues de parler rebeu, voilà qu’on vilipendait ce jeune homme qui semblait manier la langue de Molière mieux que nous tous réunis. Mais peut-être était-ce là que le bât blessait !
– Pis vous avez vu les bagnoles et les costards ? Où qui-z-ont volé tout ça ? Hein ?
Comme elle me regardait, me prenant à témoin, je hasardai :
– Ce garçon a l’air d’avoir une excellente éducation. Il est peut-être médecin, ou avocat.
Elle me foudroya du regard comme si j’avais émis la plus vulgaire des grossièretés.
– Ah oui ? Docteur ! Et pourquoi pas président de la République ?
Je commençais à m’amuser.
– Ben oui, pourquoi pas ! Peut-être qu’un jour nous aurons à la tête du pays Rachid ou Mohammed Ben Quelquechose !
Des murmures s’élevèrent dans mon dos tandis que mon interlocutrice continuait à me fixer comme si je proférais des insanités.
– En même temps, ajoutai-je pour désamorcer la situation, peu importe le prénom pourvu qu’il ait les compétences !
La rumeur enfla et je sentis poindre l’émeute et le lynchage. Je préférai battre en retraite…
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