Le 27 juillet 1993, une femme quittait le monde des vivants pour aller rejoindre son père, sa fille et ses ami(e)s partis en éclaireurs.
Si la mort lui faisait peur, elle craignait bien davantage encore la vieillesse et la décrépitude qui l’accompagne. Je n’ai jamais connu personne aussi soucieux qu’elle de conserver son capital jeunesse. A quarante ans déjà, la vieillesse ne lui paraissait pas un avenir lointain mais une réalité actuelle qu’il convenait de combattre d’ores et déjà. J’avais alors treize ans et nous marchions en ville. A la vue d’une petite vieille chancelante sur sa canne, je la taquinai avec cette cruauté inconsciente des enfants :
– Tu vois, quand tu seras comme ça !
– Jamais ! s’écria-t-elle.
– Mais voyons ! Un jour…
– Je ne deviendrai jamais comme ça !
Elle avait pâli, ses yeux d’ordinaire d’un bleu si tendre s’étaient durcis et ses doigts se crispaient sur mon bras.
– Je ne serai jamais comme ça, reprit-elle plus doucement.
Le dimanche 18 juillet 1993, elle rentrait à l’hôpital pour un pontage coronarien prévu depuis plusieurs mois. A soixante-deux ans, elle avait la beauté mûre d’une femme qui avait pris soin d’elle-même bien avant d’entrer dans ce troisième âge tant redouté. La dernière fois que je la vis, quelques minutes avant son départ pour le C.H.U. de Nancy-Brabois, elle signait des chèques, collait des enveloppes et fixait des pense-bêtes portant des instructions à mon attention. Le port de tête altier et le geste volontaire, elle expédiait ses affaires courantes pour que tout fût en règle à son retour.
Je ne la revis plus. L’opération échoua. Elle sombra dans le coma. Durant une semaine, les médecins s’acharnèrent à la maintenir en vie artificiellement pour finalement baisser les bras et débrancher les appareils.
Son vœu était exaucé : elle ne serait jamais une petite vieille tremblante sur sa canne. Le destin lui accorda de mener jusqu’au bout la vie qu’elle s’était bâtie, exerçant jusqu’à la fin ce métier qu’elle aimait tant, échappant finalement à l’angoisse de la retraite et de la décrépitude.
Selon le personnel hospitalier, les médicaments et le traumatisme l’avaient un peu défigurée. Par respect, je décidai de ne pas la revoir, persuadée qu’elle n’aurait pas aimé qu’on la vît ainsi. Un corps mort n’est qu’un cadavre, un morceau de viande en phase de décomposition. Je préférais garder en mémoire l’image de la femme belle et toujours souriante qu’elle avait été.
Cette femme qui a marqué la vie de ceux qui l’ont aimée était ma mère. Il m’arrive encore, quinze plus tard, d’espérer qu’elle revienne…
(Repris d’un texte écrit le 18.06.1996)
je suis désolée d’apprendre que ta maman est partie depuis 15 ans.
je ne savais pas qu’elle était morte si jeune
je suis tout à fait d’accord avec toi quand tu dis que c’est difficile de voir les gens se dégradaient, eux mêmes, peut être n’aimeraient pas qu’on les voit comme cela.
je suis d’accord de garder un bon souvenir d’eux une belle image.
j’ai un exemple à te donner, la soeur de gérard avait une amie depuis au moins 40 ans, elle est morte aussi à 64 ans, d’un cancer.
eh bien figure toi que la soeur de gérard m’a montré une photo de son amie en phase terminale, j’ai trouvé cela magabre, cela m’a perturbé toute la nuit, je revoyais son visage.
alors que cette personne était grande, belle femme, belle allure, tu aurais cru une vieille de plus de 80 ans tellement qu’elle était rongée par la maladie.
je suis émue de lire ce commentaire car j’ ai assisté seul à la mort de mon feu père! 36 ans déjà je n’ oublie pas!
se voir vieillir , devenir dépendante d’ autrui est aussi ma grande peur!
j’ ai mis 5 années à comprendre que mon père ne reviendrait pas!
il est effectivement préférable lorsqu’ une femme de 62 ans à su conserver toute sa fraîcheur, sa beauté physique de ne pas subir le choc de la voir défigurée!! gardez en tête un souvenir intact comme tu l’ as connu dans la vie!
ma mère m’ a interdit de revoir mon père lorsque le prêtre est venu à son chevet!
porte bouclées , on nous a expédiez chez des amies de ma mère! pas de possibilités non plus d’ assister à l’ enterrement!!mon père était resté tellement frais, ( une rupture d’ anévrisme ) n’ est pas une mort qui abime les chairs! j’ ai attendu 5 jours pour découvrir au retour à la maison que mon père était dans sa tombe!
ma mère avait souhaité garder son mari 3 jours auprès d’ elle avec les moyens les plus perfectionnés de l’ époque!!
en résumé! ne pas avoir pu dire au revoir à mon père est un traumatisme qui persiste encore! ne pas avoir pu le revoir sur un lit que la famille du sud avait installé au rez de chaussée est une pièce , un morceau de vie que l’ on m’ a enlevé de ma vie! que l’ on m’ a interdit de partager!pourtant l’ image de mon père même mort était belle!!
la psychologie et ma mère cela fait deux!!
nul n’ oublie un être proche!!j’ espère encore parfois qu’ il me fait un signe!! mais cela est une histoire de croyance!
c’ est un autre débat! sujet!!!
la vie est belle mais à chaque fois que la date anniversaire de sa mort arrive!
je vis en ermite !!!merci d’ avoir fait partagé ce moment entre vie et mort!
entre jeunesse et décrépitude!
c’ est la vie ! je sais! mais il faut osé en parler!
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