Alors que la cérémonie des Molières était retransmise hier en direct à la télévision, récompensant hommes et femmes de théâtre, anciens et modernes, j’entendais aujourd’hui à la radio que le ministre de l’Education Nationale, Xavier Darcos, considérait l’apprentissage du futur antérieur et du passé simple – ainsi que la division – trop complexe pour des enfants de CM2, soit âgés d’une dizaine d’années, à la veille de leur entrée au collège.
En voulant vérifier l’information sur Internet, je me rendis compte qu’il y avait manifestement confusion entre passé antérieur et futur antérieur, puisque des sites très sérieux annonçaient tantôt l’un tantôt l’autre comme étant dans le collimateur.
Si l’on examine la première hypothèse, on peut supposer que les élèves arrivant au collège sans avoir jamais appris le passé antérieur ne l’apprendront jamais. Car je ne peux nier qu’il se rencontre essentiellement en littérature, indissociable du passé simple qui doit logiquement subir le même ostracisme. Il n’est pas naturel à tous de dire : « Il se sentit mieux lorsqu’il eut fermé la porte. » Mais il est tout à fait naturel de le lire sous la plume de tout écrivain digne de ce nom. Bannir ces temps du passé de l’apprentissage scolaire revient donc à condamner les élèves à ne plus lire des ouvrages de qualité… On m’objectera que Stendhal ou Proust ne tombent plus que dans les mains de vieilles nostalgiques de mon espèce… Oui… oui… sans doute… je suis un brontosaure en errance dans un monde où certains se gaussent de l’emploi de l’imparfait du subjonctif et se moquent de ceux qui l’utilisent pour ne pas avoir à rougir de leur ignorance.
La deuxième hypothèse me semble en revanche plus préoccupante. Car le futur antérieur, merveilleux temps de notre conjugaison, est employé tous les jours, même par ceux dont le langage ne flirte pas avec les vers de Corneille. Car quel enfant n’a pas entendu sa mère lui répéter : « Tu regarderas la télé quand tu auras fini tes devoirs. » Auras fini : futur antérieur exprimant que l’action, dans le futur, se terminera avant celle de la première préposition, également dans le futur. Peut-on vraiment, au quotidien, se passer d’un tel temps ? Comment un amant éploré peut-il dire autrement à la femme qu’il aime son chagrin de la rupture qui s’annonce : « Je t’aimerai encore quand tu m’auras quitté. » ? Peut-on le dire autrement ?
Je comprends mal comment des adultes censés transmettre la connaissance aux enfants peuvent consentir à amputer leur enseignement de ce qu’il y a de plus beau dans la langue française. Je comprends mal comment des ingénieurs peuvent arriver à un tel niveau d’études et ne pas pouvoir rédiger une simple lettre sans la truffer de fautes. Mais cela explique la pérennité et la mutation du merveilleux métier que j’exerce. Car malgré des logiciels très performants, les pauvres en français auront toujours recours aux écrivains publics pour savoir s’ils doivent écrire pain ou pin, cher ou chair ou chaire, cœur ou chœur, père ou pair ou paire, mère ou mer ou maire, etc.
D’un côté je le déplore, de l’autre je m’en réjouis !
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