Le thème des rencontres m’a toujours fascinée. Elles influent sur le cours de notre vie et décident des choix que nous faisons. Bonnes ou mauvaises, elles ne sont jamais anodines et si nous détenons le libre-arbitre – ou croyons le détenir – il ne s’effectue jamais qu’en fonction des rencontres. J’ai voulu qu’il soit le fil conducteur de mon dernier recueil de nouvelles tout juste sorti de l’imprimerie. C’est ainsi que, samedi dernier, lors d’une réunion politique dans le cadre des élections municipales, j’ai rencontré un magistrat qui, non seulement a discuté avec nous en prenant un verre après le débat, mais s’est intéressé à mon modeste blog et a laissé un commentaire dans un article sur l’affaire d’Outreau. Monsieur Pascal Bridey me fait l’honneur et l’amitié d’un nouvel article que vous découvrirez ci-dessous dans sa version originale et intégrale. Voilà l’illustration de ces rencontres improbables qui nous dominent. |
» Un mauvais coup pour la justice de proximité!
La réforme de la carte judiciaire devrait entraîner d’ici 2010 la suppression de 180 tribunaux d’instance et de 23 tribunaux de grande instance . On annonce également la suppression de 63 conseils de prud’hommes et d’une cinquantaine de tribunaux de commerce.
Pourquoi s’attaquer à la justice de proximité, cette justice du quotidien, des affaires de voisinage, du surendettement, des loyers impayés, des pensions alimentaires, des tutelles, des problèmes de consommation alors qu’on déplore par ailleurs la disparition des services publics et la désertification des campagnes ?
Les petits tribunaux sont les cibles privilégiées de cette réforme alors qu’ils démontrent tous les jours leur utilité.
Les tribunaux d’instance, sont les tribunaux qui accueillent les plus fragiles et des plus démunis de nos concitoyens.
C’est la justice des gens modestes de la France des cantons et des banlieues.
Les magistrats ayant rendu cette justice vous diront que c’est dans un tribunal d’instance qu ‘on se sent le plus utile parce qu’on mesure immédiatement les conséquences humaines, économiques et sociales des décisions prises même si les enjeux financiers sont quantitativement moins importants que dans d’autres juridictions.
Alors que la lenteur et les dysfonctionnements de la justice en général sont de plus en plus décriés, c’est aujourd’hui la justice d’instance qui fonctionne le mieux . Les performances des tribunaux d’instance sont incontestables en termes de délais, de qualité et d’accessibilité.
C’est dans les tribunaux d’instance , que les jugements sont rendus le plus rapidement : on n’y obtient un jugement dans un délai moyen de trois ou quatre mois alors qu’il faut attendre huit ou neuf mois devant le tribunal de grande instance et souvent plusieurs années devant une cour d’appel !
C’est aussi la justice la plus simple et la moins coûteuse car les gens peuvent se présenter eux-mêmes dans le cadre de procédures simplifiées qui évitent le recours , souvent dissuasif , aux auxiliaires de justice .
Des régions déshéritées du Centre et de l’Est de la France vont devenir de véritables déserts judiciaires. Certains justiciables devront faire parfois plus de 100 km pour se rendre dans leur tribunal et préféreront souvent renoncer à leurs droits plutôt que d’aller dans une grande juridiction où leur affaire sera noyée dans la masse et renvoyée d’audience en audience, comme c’est déjà trop souvent le cas en raison de la pénurie chronique de moyens dont souffre l’institution depuis plusieurs années.
La justice moderne qu’on nous promet, mélange de justice foraine et de justice TGV n’est pas la justice dont nous voulons car ce n’est pas la justice que nous aimons !
Avec la justice foraine, le juge deviendra le missi- dominici itinérant des lois votées par le parlement qu’il appliquera lors d’un séjour éclair aux populations locales en tapant sur son ordinateur, puis disparaîtra jusqu’au lundi mensuel de foire judiciaire suivant.
Quelle meilleure façon de faire détester la loi et la justice que de la faire appliquer par des juges fantômes, sans tribunal, sans racines dans la population , errant de ville en ville avec leurs valises pleine de dossiers.
A éloigner la justice des populations, c’est la loi et donc la démocratie que l’on éloigne des citoyens. De la proximité avec celui qui juge, naît la légitimité de l’acte du juger.L’éloignement géographique des tribunaux détériorera la confiance des justiciables envers l’institution judiciaire. Si l’on souhaite rapprocher la justice des citoyens pour qu’ils se l’approprient, il ne faut pas l’éloigner d’eux mais au contraire les faire participer davantage à l’oeuvre de justice .
Avec cette réforme nous allons tout droit vers une justice désincarnée, déshumanisée, sans rencontre véritable entre le justiciable et son juge.Or ,rendre la justice, ce n’est pas uniquement étudier un dossier , ce n’est pas seulement réaliser un travail intellectuel, aussi brillant soit-il , mais c’est aussi et surtout rencontrer ceux qui viennent demander justice , comprendre leurs attentes , mesurer leurs souffrances, leur angoisse , leur détresse et bien souvent, leur redonner espoir et confiance dans l’institution .
Tous les magistrats vous diront qu’une décision est bien mieux acceptée lorsqu’elle est expliquée , motivée avec des mots simples, à l’issue d’une audience sereine et apaisée au cours de laquelle les gens ont le sentiment d’avoir pu s’expliquer, d’avoir été écoutés et respectés .
La réforme de Mme DATI sonne le glas de la justice de proximité qui va progressivement disparaître au profit d’une justice technocratique, une justice sans âme, une justice de dossiers faite pour les juristes et les professionnels du droit , une justice qui conviendra peut-être aux avocats d’affaires et autres privilégiés mais certainement pas au plus grand nombre , à tous ceux que nous rencontrons dans nos audiences , ceux-là mêmes qui ont déjà si peu confiance en la justice de leur pays !
Estimée par les spécialistes à plus d’un milliard d’euros , cette réforme s’annonce désastreuse économiquement et humainement .
Avec la loi sur les peines-plancher et la dépénalisation programmée du droit des affaires , elle marque clairement le choix de la droite de promouvoir une justice à deux vitesses , contraire au principe républicain d’égalité des citoyens devant la loi !
Pascal BRIDEY
Magistrat
Union Syndicale des Magistrats «
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